CAMEROUN, OPÉRATION ÉPERVIER:LE PLAN MACHIAVÉLIQUE ET DESTRUCTEUR D’UN CERCLE TRIBAL

Que faire d’un peuple qui se complaît dans un mensonge d’État depuis presque deux décennies? Continuer inlassablement de faire son travail d’investigation journalistique comme M. Michel Biem TONG qui, dans un contexte totalitaire et extrêmement répressif, démonte méthodiquement une épuration politique planifiée sous le couvert d’une incessante imposture de lutte contre la corruption au Cameroun.

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OPÉRATION ÉPERVIER: LE PLAN MACHIAVÉLIQUE ET DESTRUCTEUR DU CERCLE TRIBAL (G-BULU) AU POUVOIR

Par Michel Biem Tong, Journaliste, Hurinews.com

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Tout commence généralement par une nomination par décret du chef de l’État Paul BIYA (le fameux décret que certains membres du sérail attendent parfois des décennnies!). Une fois nommé, le haut commis de l’État se met au travail. Un membre du cercle tribalo-amicalo-familial autour de Paul Biya (ce que l’écrivain Enoh Meyomesse appelle le G-Bulu), lequel cercle ne jure que par la conservation du pouvoir entre ses mains après Biya, remarque que le haut commis de l’État a du caractère, est intelligent, travailleur, patriote, peu enclin aux combines, indépendant d’esprit, que ce haut commis de l’État fait avancer les dossiers, engrange des financements à l’extérieur, permet au Cameroun de gagner de bons points sur le plan économique.

Le cercle constate également que le haut commis de l’État est très adulé dans sa contrée d’origine. Il y entreprend des actions caritatives. Pendant les vacances, il y organise un championnat qui permet à la jeunesse de s’épanouir. À son domicile à Yaoundé, il reçoit des personnes venues quérir qui une aide financière qui un emploi dans l’administration. C’est la panique dans le cercle. Un membre tient le reste de la fratrie informé. Le haut commis de l’État pourrait contrecarrer leur plan de conservation du pouvoir. Il pourrait être le candidat idéal à une élection présidentielle contre Paul Biya. Du fait de ses actions, il suscite une certaine assise populaire autour de lui. Le cercle en touche un mot au chef de l’État.

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La machine à broyer se met en branle.

Premier levier actionné par le cercle: les services de renseignements. Ces derniers sont mis à contribution pour transmettre des informations au chef de l’État sur une supposée velléité de certains de ses proches collaborateurs de lui ravir le pouvoir.

Deuxième levier actionné: le Contrôle supérieur de l’État (directement rattaché à la Présidence de la République au Cameroun). Le cercle dépoussière un rapport généralement bâclé et cousu de fil blanc de cet organisme en charge de contrôler la gestion des ordonnateurs des crédits publics et le brandit comme étant la preuve des détournements de deniers publics.

Troisième levier actionné par le cercle: la presse (il s’agit en réalité d’un trio prompt à jouer le jeu). C’est d’ailleurs elle qui fait le gros du job. Cette dernière, contre des espèces sonnantes et trébuchantes, est alimentée par ces informations que lui transmettent les renseignements généraux. C’est également dans ses colonnes qu’échouent les fameux rapports du Consupe. C’est ainsi qu’il est très souvent fréquent de lire à la Une d’un de ces journaux : «Voici la liste des milliardaires-voleurs», «Pleins feux sur les biens mal acquis de Y», «14 milliards détournés par Z en 5 ans».

Au fond, rien de vrai ne transpire de ces informations. L’objectif ici est de manipuler l’opinion et de préparer psychologiquement cette dernière à légitimer l’assassinat politico-judiciaire du haut commis de l’Etat. Sur la foi de ces «informations», l’infortunée est limogée. La Troïka médiatique à solde du cercle se met à nouveau en action : «l’ex-ministre X interdit de sortie du pays», «l’ex-Dg Y bientôt à Kondengui».

Quatrième levier actionné par le cercle: la police. Pas n’importe laquelle: le groupement spécial d’opération. Unité spéciale en charge de traquer de redoutables bandits, elle est utilisée par le cercle pour cueillir le désormais ex-haut commis de l’Etat à son domicile un matin, devant sa famille, et le conduire à la police judiciaire ou devant le juge d’instruction.

Alors entre en jeu le cinquième levier actionné par le cercle: la justice, une justice aux ordres de Paul Biya.

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Photo: ici feu le ministre Louis Bapès Bapès incarcéré pendant 24 heures le 31 mars 2014 avant d’être libéré sur ordre de Paul Biya, puis de reprendre son travail comme si de rien n’était

Froissé, hué, humilié, diminué et déshumanisé par d’effroyables conditions de détention en prison, notre ex-haut commis de l’État se retrouve donc devant une justice couarde, froussarde et trouillarde du fait des ordres à la con que lui donne le cercle. Le contenu ô combien ridicule du dossier d’accusation encore moins l’argumentation solide de ses avocats ne change rien à son image de «voleur» déjà répandue au sein de l’opinion. Sa cause a déjà été entendue dans une résidence cossue d’un membre du cercle. Le simulacre de procès ne donne qu’un habillage judiciaire – dont légal – à une exécution politique en règle.Au finish, le verdict est lourd: 15, 20, 25, 30 ans, voire la prison à vie.

Et comme si cela ne suffisait pas, le cercle sort une autre affaire tout aussi farfelue que la première, puis en sort une autre et une autre encore, toutes décousues. Voilà l’ex-haut commis de l’Etat plongé dans une tragi-comédie politico-judiciaire sans fin.

Seulement, il n’échappe à aucun camerounais honnête que ces procès à tête chercheuse commandités par le cercle vise en réalité à créer un écran de fumée sur les malversations financières et autres rapines perpétrées par ses propres membres. Ils visent en réalité à reposer le retard économique du pays sur les épaules de ses victimes alors qu’il en est le responsable N°1.Que c’est triste à pleurer de savoir que ce cirque n’est pas prêt de la fin…

Michel Biem Tong, Hurinews.com

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Despotisme légal et professionnalisation d’une élite du pouvoir en place au Cameroun

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Photo: L’ancien ministre de l’économie Pierre Désiré Engo, placé sous inculpation permanente par le régime de Paul BIYA

Par Olivier Tchouaffe, PhD, Contributeur du CL2P

Pendant des années depuis l’indépendance du pays, le Cameroun a réussi à construire une technocratie efficace et instruite, incarnée par des professionnels comme Pierre- Désire Engo qui est passée de la pauvreté aux échelons supérieurs de la haute administration camerounaise essentiellement grâce à ses mérites intrinsèques. La conséquence logique qu’on aurait pu attendre de cette forme d’ ascension sociale et professionnelle au mérite serait qu’elle traduite par une pratique politique le prisme principalement de la persuasion, de la raison et de l’intellect. Or il semble malheureusement avec le temps que l’état de droit, l’usage de la raison critique, l’expansion des libertés individuelles, et même la tolérance de la différence voire de la diversité ne soient toujours pas une réalité dans un pays toujours en construction.

Le Cameroun est ainsi le seul pays au monde à avoir l’équivalent d’un gouvernement en prison.

L’idée consistant à considérer à considérer cette incarcération massive une magnitude inégalée comme LA preuve que toutes ces personnalités manquent d’intégrité et ne sont pas dignes de respect est en soi un non-sens. Car loin de résoudre le problème de corruption dans ce pays – puisqu’il fait toujours partie des plus corrompu de la planète – la vraie question est de savoir pourquoi tous ces hauts fonctionnaires sont en prison? Le despotisme légal semble la réponse appropriée.

En effet cette forme légale de despotisme est une tactique courante dans les régimes autoritaires du monde entier, et le Cameroun n’en fait pas exception. De nos jours, les citoyens ordinaires perçus comme des opposants à ces régimes meurent rarement dans des accidents d’avion ou de voiture suspects. L’objectif du despotisme légal est de discréditer et d’anéantir à jamais la compétence donc le mérite intrinsèque de ces professionnels pour lui substituer la logique de contribution. Le spectre du despotisme légal se passe partout dans le monde, notamment dans les pays autoritaires comme le Cameroun où les dirigeants ne tolèrent aucune dissidence. Les citoyens ordinaires qui font de l’ombre à ces régimes sont tournés en dérision, brandis comme incompétents, politiquement motivés, séditieux ou corrompus. La catégorie d «opposant» devient un objet biopolitique et l’opposant est déchu de ses droits civiques et embastillés. En réalité le but du despotisme légal est d’intimider et de réduire au silence. Cette stratégie peut s’avérer particulièrement effective, notamment dans la manière avec laquelle elle amène d’excellents professionnels à se conformer à un ensemble de règles non écrites. Au fil du temps ces normes implicites n’ont plus besoin d’être inculquées, puisqu’elles sont intériorisées pour des raisons de survie personnelle et professionnelle. Le dictateur n’éprouve même plus le besoin de les imposer au reste de la société. La docilité et la mendicité le font pour lui.

Il faut reconnaître que le véritable impératif est la construction d’une démocratie civique véritable qui prend en compte le caractère pluraliste du Cameroun contemporain.

De nos jours la «démocratie» Camerounaise est privatisée par une petite clique qui partage la conviction que la démocratie devrait fonctionner uniquement pour eux et eux seuls.

Cette «démocratie» privatisée est circonscrite et contrôlée par une élite égoïste, marginalisant l’écrasante majorité, afin de monopoliser de plus en plus de pouvoir pour eux-mêmes. Étant donné que la mobilité professionnelle par l’ascension sociale ne fonctionne plus, l’exclusion devient rampante, l’élite façonnée par Paul Biya atteint un tel niveau d’extase du pouvoir qu’elle finit par penser maintenant que son monopole est un don de Dieu. Le Cameroun a atteint le point où l’État sert ou est au service que de quelques familles, et est le prélude d’un désastre.

Olivier Tchouaffe, PhD, Contributeur du CL2P

 

English version: Legal Despotism and the Professional Elite Class in Cameroon.

By Olivier Tchouaffe PhD, CL2P Contributor

Over the years since the independence of the country, Cameroon has managed to build an efficient and educated technocracy epitomized by the like of Pierre Desire Engo who rose from poverty into the higher rungs of the Cameroonian professional class. The expectations produced by these institutional processes came from the knowledge that politics must be approached primarily through intellect, reason and persuasion. It appeared only a matter of time that the rule of law, the enhanced use of critical reason, the expansion of individual freedom and the tolerance of diversity become an effective reality in a nascent country.

Cameroon, however, is the only country to have an entire government in prison.

To consider this mass-scale imprisonment as evidences that all these prisoners lack integrity and self-respect is non sense. Far from solving any corruption problem, since the country still rank higher in term of corruption on the global scale, the veritable question seems to what purpose all these officials are in prison for? The most evident answer is legal despotism. This legal form of despotism is a tactic ripped from the playbook of authoritarian regimes around the world including Cameroon. Today, ordinary citizen perceived to be on the opposing side of the regimes seldom die in suspect car or airplane crashes. Legal despotism’s goal is to discredit and undermine a capable professional class ability to enter into a logic of contribution.

The specter of legal despotism happens all over the world in authoritarian countries, such as Cameroon, where leaders brook no dissent. Folks who don’t toe the line are derided as incompetent, politically-motivated, seditious or corrupt. The word “opponent” is turned into a biopolitical category. Hence, the goal of legal despotism is to intimidate and silence. These tactics can be highly effective, particularly, for the ways they train the professional class to comply with a set of implicit rules. And, after a while, these implicit rules no longer need active enforcement because people come to internalize them for their own survival.

We have to recognize that the real imperative is the building of a real civic democracy that takes into account the pluralistic nature of contemporary Cameroon.

Now, Cameroonian «democracy» is privatized by a small clique who share the belief that democracy should work for them, and them alone.

This privatized “democracy” is constricted and controlled by a self-serving elite sidelining the vast majority in order to grab more and more power for themselves. Upward mobility no longer works, exclusion ran rampant, and the Biya’s elite reach such a stage of self-entitlement that they now think that their monopoly is a God given right. Cameroon is reaching a stage where it only serves few families and that is a recipe for disaster.

Olivier Tchouaffe PhD, CL2P Contributor

 

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Photo: les anciens dignitaires du régime de Yaoundé, dont l’ancien Premier Ministre Inoni Ephraim (debout  tout de blanc vêtu), lors d’une messe célébrée à la prison centrale de Kodengui à Yaoundé

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